Avant même d'avoir accueilli ses premiers élèves, l'Ecole de l'Internet, baptisée "42", que s'apprête à lancer Xavier Niel, dispense déjà quelques leçons. Le patron de Free vient de l'annoncer : en quelques semaines, son projet a suscité entre 40.000 et 50.000 candidatures. En pleine période de choix d'orientation pour les futurs bacheliers, ce chiffre donne à réfléchir.
Cet afflux de candidats souligne d'abord l'attrait pour des formations dédiées à un secteur - l'Internet et le numérique - aujourd'hui en pleine expansion et porteur de débouchés nombreux. Un secteur, surtout, qui passionne les jeunes : il suffit pour s'en convaincre d'observer l'extraordinaire enthousiasme collectif qui émane de compétitions étudiantes comme "Imagine Cup", le tournoi d'innovation numérique organisé par Microsoft. L'initiative de l'Ecole de l'Internet n'est, du reste, pas la seule dans ce domaine : il y a quelques mois déjà, deux autres projets d'écoles de ce type ont vu le jour, à l'initiative d'acteurs privés : le groupe Ionis, spécialisé dans la formation, et un consortium de chefs d'entreprise - Jacques-Antoine Granjon, Marc Simoncini et... Xavier Niel, encore - qui ont fait fortune dans le numérique.
Question(s) de pédagogie
Cet engouement montre aussi l'appétit de nombreux jeunes pour un mode d'apprentissage pratique, opérationnel, directement axé sur la vie professionnelle. A contrario, il projette comme une ombre sur des filières plus "traditionnelles", que beaucoup de lycéens ou de bacheliers jugent, à tort ou à raison, rébarbatives, arides ou sans perspectives d'emploi. De quoi pousser les universités et les grandes écoles à s'interroger. Certes, leur approche est parfaitement légitime, qui consiste à construire un savoir solide et durable, en s'appuyant d'abord sur un socle de connaissances théoriques, avant de passer peu à peu à la pratique et aux applications. Elle permet à leurs étudiants et diplômés d'éviter les effets de mode, et de se repositionner en cas d'évolution des technologies et/ou des métiers. Elle a d'ailleurs fait largement ses preuves : les écoles d'ingénieurs "à la française", par exemple, reposant sur un enseignement le plus souvent de type déductif, sont de plus en plus appréciées, y compris à l'international. Mais cette démarche est-elle la seule pertinente, quand la question de l'emploi des jeunes se pose avec une telle gravité, et alors que l'explosion du numérique marque une véritable rupture ? N'est-il pas envisageable d'opter aussi pour une autre approche pédagogique ?
Le coût des études, un vrai sujet
La gratuité des études à l'Ecole de l'Internet n'est pas étrangère, bien sûr, au succès de son lancement. Le constat mérite également d'être souligné, à l'heure où les frais de scolarité s'envolent dans certaines des formations les plus cotées - notamment dans les grandes écoles de gestion. Et alors que certains plaident pour une hausse significative des droits d'inscription dans les universités. Dans le contexte actuel de crise économique, nombre de familles - y compris dans les classes moyennes - n'ont plus les moyens de payer. Là encore, il y a matière à réflexion.
Tout ceci ne doit cependant pas faire oublier la nécessaire prudence par rapport à cette nouvelle école. Plusieurs tentatives ont déjà eu lieu, par le passé, pour "contourner" le système éducatif traditionnel, en proposant des formations plus concrètes, moins académiques, susceptibles d'offrir aux jeunes une alternative, voire une "seconde chance". Elles n'ont pas toujours été couronnées de succès. L'exemple de "Sup de Luxe", lancé par Alain-Dominique Perrin, l'ancien patron de Cartier International, il y a une quinzaine d'années, est à cet égard révélateur : à l'origine, ce programme spécialisé de haut niveau visait à accueillir des profils aussi divers que possible - y compris des non-bacheliers et des "autodidactes". Très vite, il s'est transformé en un "troisième cycle" plus "classique", avec un recrutement beaucoup plus restrictif - autrement dit, plus sélectif. Inutile de rêver : l'apprentissage de métiers complexes - ceux de l'internet le sont particulièrement - impose de s'appuyer sur des bases solides.
Enfin, à l'heure où l'on découvre que quelques-uns de nos hauts responsables politiques et certains privilégiés ont choisi de placer leur magot à l'abri du fisc sous d'autres cieux, provoquant stupeur et colère dans le pays réel, il n'est pas anodin d'observer que des chefs d'entreprise décident, eux, de consacrer une part de leur richesse (70 millions d'euros, dans le cas de l'Ecole de l'Internet) au bien de la société. Même si la démarche n'est peut-être pas totalement désintéressée, le constat a quelque chose de rassurant.